La fumeterre, Fumaria officinalis d’avant-hier, à aujourd’hui…

La fumeterre, Fumaria officinalis d’avant-hier, à aujourd’hui…

Ce texte est extrait d’un ouvrage en préparation, une analyse de l’Arbolayre, le premier ouvrage sur les plantes médicinales imprimé en langue française en 1485. Les astérisques renvoient à un futur glossaire.


Pour l’herboriste d’aujourd’hui :

Description

La fumeterre est une herbacée de petite taille, qui a de plus tendance à se coucher. Elle ne dépasse guère les 50 cm de haut. Ses feuilles sont très découpée et ses fleurs sont caractéristiques avec un rose-rouge marqué sur une inflorescence* en forme de grappe. 

Classification, répartition, écologie

Toutes les fumeterres ont été récemment classées dans la famille des Papavéracées. Elles appartenaient il y a peu aux Fumariacées.  La fumeterre officinale a une cinquantaine de cousines dans le genre Fumaria, et sont souvent confondues. C’est une plante spontanée que l’on rencontre dans les champs. Elle est dite adventice, terme savant qui se substitue à celui de mauvaise herbe. Elle est effectivement concurrente des plantes cultivées. Autant dire qu’elle a été très tôt décrite par les Anciens… Elle est présente dans toute l’Europe, à l’exception du Nord. Elle a une préférence pour les sols frais et remués et les climats doux. 

Histoire


Citée par Dioscoride (mort en 95 apr. J.C.) et Galien (mort vers 210 apr. J.C.), elle a été utilisée par les Grecs et les Romains puis par les Arabes. Platearius, au XIIe siècle, la cite dans son traité de l’herboriste, le « Circa Instans ». Elle sera ensuite reprise par tous les herboristes, apothicaires et savants du monde végétal jusqu’à nos jours, où elle fait encore l’objet de préparations pharmaceutiques. C’est une plante importante pour les herboristes d’aujourd’hui.

Codex herboristique


On utilise la partie aérienne de la plante. Celle-ci contient des principes actifs variés, dont essentiellement des alcaloïdes* avec en prédominance la protopine (ou fumarine), des flavonoïdes*, des mucilages*, et de l’acide fumarique. Cet éventail biochimique diversifié place la fumeterre dans un contexte d’emploi original. C’est en premier lieu son effet sur le foie qu’il faut retenir : la fumeterre est d’abord un dépuratif* qui agit par le biais hépatique. C’est dans cette logique que les herboristes de toutes les époques l’ont toujours considérée. En usage interne, la fumeterre peut s’employer seule mais ses actions s’inversent au bout d’une dizaine de jours d’utilisation : de tonique hépatique et générale, elle devient calmante et hypnotique. C’est pourquoi elle est conseillée soit en usage unique en cure d’une semaine, soit en cure de trois semaines si elle est associée à d’autres plantes à visée dépurative, comme le pissenlit, l’aubier de tilleul ou la bardane. Dans les deux cas, on peut reprendre ces cures après une pause de 10 jours.

Intérêt pour la santé :

la fumeterre stimule la fonction hépatique et entraîne plusieurs effets positifs : 
- elle augmente le flux biliaire au profit d’un meilleur équilibre intestinal. Rappelons que la bile est un constituant essentiel des matières fécales et qu’elle joue un rôle crucial en nourrissant le microbiote*…  
- elle améliore la circulation sanguine par un effet nettoyant de ce dernier. Henri Leclerc dit ainsi que : « …la fumeterre permet de réduire le nombre de globules ainsi que la viscosité et la coagulabilité du sang. »
- elle entraine par voie de conséquence une diminution des toxines dans les liquides circulants (sang et lymphe notamment), ce qui profite à beaucoup de maladies chroniques : des maladies de peau comme l’eczéma* ou le psoriasis*, nombre de maladies articulaires (qui sont en lien avec une acidose chronique), ou encore l’artériosclérose*. 
Mais il faut retenir sa spécificité sur le foie avec deux exemples très distincts : la très impressionnante jaunisse* peut se soigner avec la fumeterre. Ceci est assez logique vu son action sur le flux biliaire. Plus subtil est son effet sur le cycle féminin : l’amélioration de la fonction hépatique profite au système hormonal et au cycle féminin en premier. Le foie est toujours mis à rude épreuve par les aléas de la vie. Ne dit-on pas « te fais pas de bile » à un ami en proie à des inquiétudes ?

Commentaires sur l’Arbolayre.


La fumeterre est chaude au premier degré et sèche au second.

Le foie réagit de façon tonique à des plantes dites caloriques comme, par exemple, le romarin. Ici, du fait de ses principes actifs doux, la fumeterre agira sur le foie avec modération (« premier degré »). Ses propriétés diurétiques ni trop faibles, ni trop puissantes, conséquence des effets sur le foie, sont aussi rapportées avec intérêt.

C’est une herbe que l’on appelle ainsi fumeterre pour ce qu’elle s’engendre d’une grosse fumée qui sort de terre et aussi car elle sort de terre en grande quantité telle une fumée.
Cette grosse fumée adhère au sol et par l’action de l’air et du soleil elle se transforme en cette herbe.

Si on rapporte aujourd’hui que les Anciens pensaient que la fumeterre « naissait des vapeurs de la terre », et que l’Arbolayre reprend cette croyance, Dioscorides, pour sa part dit que son jus éclaircit la vue et fait pleurer, et précise qu’elle a des feuilles blanches, tirant sur le cendré. En 1600, Olivier de Serres dira de cette plante que son suc fait pleurer les yeux comme la fumée. D’autres hypothèses, plus tard, émergeront : la fumeterre ne pousse-t-elle pas d’abord en « terre fumée » ? N’avez-vous pas remarqué sa saveur de fumée ou de suie ?

Plus elle est fraîche, meilleure elle est. Quand elle est sèche elle n’a plus de vertu. 

La fumeterre est davantage réputée avec des extraits obtenus de la plante fraîche que de son usage en tant qu’herbe séchée. La meilleure formulation est certainement l’alcoolature*, ou l’extrait hydroalcoolique. Elle consiste à faire macérer la plante fraîche quelques semaines dans une solution eau + alcool. Pourtant, sous forme d’infusion de plante sèche, j’ai déjà eu l’occasion de remarquer ses vertus.


Elle purge principalement les humeurs mélancoliques et l’écoulement nasal, et aussi la colère. Elle est diurétique.

Il faut ici comprendre que la fumeterre agit en augmentant la sécrétion de bile, par un effet cholérétique* et cholagogue*. Pour nous, herboristes adhérents à l’approche fonctionnelle dynamique* dont nous avons parlé en introduction, cette phrase résume à elle seule la vertu première de la fumeterre : drainer par le foie les toxines du corps, avec pour effet en premier la santé dudit organe (ne dit-on pas que le foie est l’organe de la colère ?), en second de soulage les émonctoires*. Ici les voies respiratoires à travers une diminution des mucus* (flegme salé). 


Contre la gale, deux onces de son jus mélangés à du sucre à donner dans de l’eau chaude. Ou aussi avec une once et demie de fenouil.
On peut aussi faire cet onguent dans de l’huile de noix avec de la suie bien fine à confire dès l’ajout de vinaigre et de jus de fumeterre en quantité dominante. Oindre de cet onguent le malade est une très bonne chose.
Sachez qu’il faut donner ce jus de cette manière trois fois dans la semaine. Cela purge très bien l’humeur qui cause la gale.

Ici, la fumeterre est utilisée en usage externe, devant une affection parasitaire bien connue, la gale*. Face à cette maladie, la médecine conventionnelle occidentale recommande aujourd’hui la prise de médicaments par voie interne. Pourtant, l’usage externe a toujours prévalu dans le passé en médecine populaire. Moi-même, j’ai eu l’occasion de proposer avec succès un mélange d’H.E. de Melaleuca alternifolia, associé à de l’extrait de pépin de pamplemousse (en parties égales) à mélanger à un baume au calendula et à appliquer trois à quatre fois par jour jusqu’à disparition, sur les zones cutanées où le parasite est présent. L’intérêt de la fumeterre tient-il ici dans son action dépurative et stimulante de la défense locale ? Je ne saurais répondre, mais il peut toujours être utile d’ajouter de l’alcoolature de fumeterre à ma formule ci-dessus…

Contre l’hydropisie, surtout celle dite leucofleumance, donner son jus avec deux drachmes de poudre d’ésule dans de l’eau chaude ou faire un sirop de jus de fumeterre, de fenouil, où on y aura fait cuire de la poudre d’ésule et du sucre. C’est très bon.

L’hydropisie est un ancien terme qui désignait l’œdème*. Ses causes peuvent être multiples, mais encore aujourd’hui on recommande souvent l’usage d’un diurétique. C’est cette propriété qui est exploitée ici, renforcée par le fenouil. L’euphorbe âcre (Euphorbia esula) ne s’utilise pas en herboristerie, et ne l’a jamais été. Elle est classée comme toxique. L’usage de cette plante n’est cité que dans les manuscrits du Circa Instans. On la retrouve donc dans l’Arbolayre. Ni Matthiole, ni les herboristes du XVIe ne la mentionnent. D’autres euphorbes ont été employées en herboristerie mais toujours en précisant leurs toxicités et leurs précautions d’emploi.

Contre la goutte, donner deux onces de colchique avec du jus de fumeterre. Cuite, cette herbe appliquée sur l’orteil enflammé par une crise de goutte est efficace.

Il est intéressant de noter que la colchique**, qui est une plante toxique très puissante pouvant entraîner la mort par ingestion, a été dès le Moyen-âge utilisée contre la goutte*. Aujourd’hui, on extrait de cette plante la colchicine pour en faire un médicament préconisé devant une telle urgence. En herboristerie on utilise avec succès les infusions de cassis. C’est un autre dépuratif mais qui agit en priorité sur les reins. A brûle pourpoint puisqu’il convient de faire baisser le taux d’acide urique sanguin par les voies urinaires. Fumeterre ou cassis ? A l’époque de l’Arbolayre, le cassis n’était pas connu. Il n’entrera dans le répertoire des herboristes qu’à la fin du XVIe siècle. Tout comme pour la gale, on remarquera que c’est l’usage externe et local de la fumeterre qui est privilégié.

Devant la bile noire venant du haut de l’estomac, ou quand tout l’estomac nous donne envie de vomir, contre l’obstruction de la rate et du foie causée par un refroidissement ou une humeur froide, donner ce jus avec de l’eau chaude, additionné de sucre.
Il faut savoir que certains donnent ce jus le matin, d’autres le soir. Certains le donnent pur sans rien y ajouter, d’autres y ajoutent diverses choses. Il faut le donner le soir et on doit toujours ajouter quelque chose qui chasse les gaz comme la semence de fenouil ou le mastic.
La fumeterre chasse et dissout les humeurs qui causent des ballonnements et des coliques.
Elle fortifie l’estomac et donne de l’appétit, dégage les obstructions du foie, fait uriner et déclenche les menstruations.

On a ici un descriptif bien détaillé des vertus par voie interne de la fumeterre. On notera qu’elle est déjà bien connue pour dissoudre les calculs biliaires, cause principale de l’obstruction du cholédoque*. En agissant sur le foie, elle rétablit son bon fonctionnement et agit par voie de conséquence sur la vésicule biliaire, où se forment le plus souvent ces lithiases*. Indirectement, elle agit aussi sur d’autres organes proches, comme l’estomac. Je retrouve ici les mêmes explications qu’un ami herboriste m’avait confiées lors de mes premiers pas dans ce métier : « utilise la fumeterre en juste proportion : elle est puissante autant que douce : si le foie ne sécrète pas assez de bile, elle le stimulera. L’inverse aussi. La fumeterre est une équilibrante des fonctions cholérétique et cholagogue. »

Son jus cuit donné à boire purge le sang, et plus particulièrement si on le mélange avec du mirobolan.
Dioscoride dit de la fumeterre qu’elle a la propriété de guérir le corps de toute pourriture.

Voilà une belle conclusion pour une plante aujourd’hui reléguée en second plan. Pour le myrobolan, voir cette plante.

Retrouve-t-on dans les descriptions de la fumeterre la théorie des signatures ? Force est de remarquer que cette plante, aujourd’hui banalisée, a fait l’objet d’une remarquable corrélation qui passe inaperçue : elle agit sur le foie et elle éclaircit la vue. Un lien majeur défendu par la Médecine Traditionnelle Chinoise. Quelle coïncidence !


Perspectives :

Il serait intéressant d’étudier l’usage de la fumeterre dans une démarche antiparasitaire externe.
De même qu’il serait intéressant d’ajouter de la fumeterre aux feuilles de cassis prises en infusion face à une crise de goutte...

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