Le genévrier, Juniperus communis, d'avant-hier à aujourd'hui

Le genévrier, Juniperus communis, d'avant-hier à aujourd'hui

Ce texte est extrait d’un ouvrage en préparation, une analyse de l’Arbolayre, le premier ouvrage sur les plantes médicinales imprimé en langue française en 1485.
Les astérisques renvoient à un futur glossaire.


Pour l’herboriste d’aujourd’hui :

Description

Le genévrier (Juniperus communis) est un arbuste à croissante lente présent dans les régions à climat méditerranéen et tempérées de l’hémisphère Nord. Ses feuilles en forme d’aiguilles et groupées par trois en verticilles sont élancées et piquantes et présentent une large bande blanche sur leur axe. Les fruits se développent à la base des verticilles des feuilles. Ce sont ces fruits de couleur verte évoluant progressivement vers le noir sur deux années qu’on appelle les baies de genièvre. On fabrique le gin par distillation de ces fruits, et on les utilise traditionnellement dans la choucroute. Nous verrons plus loin leur rôle dans cette préparation alimentaire.

Classification, répartition, écologie

Les Juniperus ont une histoire évolutive passionnante. Ce genre regroupe de 50 à 75 espèces, et les premières traces fossiles remontent à l’époque de l’apparition des dinosaures. Ces traces ont notamment confirmé très tôt la théorie de la dérive des continents : au temps de la Pangée*, les genévriers, équipés de feuilles qu’on décrit comme des écailles (feuilles squamiformes) ou des aiguilles (feuilles aciculaires), épaisses et cireuses, avaient un avantage à résister à la sécheresse et dans une moindre mesure aussi au froid. A cette époque, les autres conifères s’orientaient vers les climats plus froids et plus humides et un sol plus acide.
Peut-être parce qu’ils poussent loin des autres arbres et ne subissent guère de compétition, les genévriers se caractérisent par une croissante lente. Très lente. Toutes les espèces de Juniperus sont répartis, sauf exception, sur l’hémisphère Nord, de la zone arctique aux montagnes des régions tropicales, jusqu’à l’équateur.
Revenons plus précisément à notre genévrier commun : on le retrouve sur toute l’Eurasie et en Amérique du Nord. Quand on sait que nos lointains ancêtres, les premiers « Homo » venus du continent Africains ont migré il y a « seulement » quelques centaines de milliers d’années, autant dire que cet arbuste, déjà bien installé sur tout le pourtour méditerranéen et sur les régions semi désertiques de l’Eurasie a été un grand témoin de l’évolution de l’Homme. 
Le genévrier commun est un arbuste qui s’installe dans des milieux ouverts, dominés par la lumière et le soleil. On dit que c’est une plante pionnière. Il arrive précocement sur des terres vierges, et précède souvent les autres espèces. Il n’est pas exigeant quant à la nature du sol, et c’est peut-être ce qui lui a permis de s’installer dans les milieux calcaires, secs et arides, sans y rencontrer de concurrent. S’il peut atteindre une hauteur de plus de 10 mètres, c’est avec des dizaines d’années de croissance qu’il y arrivera. Lenteur et force sont les maître mots de cette plante. Pour son fruit aussi le genévrier prend son temps. Il met entre deux et trois années à murir… Mais ce processus fructifère vaut le détour : c’est une baie charnue qui s’offre au passant. Un vrai don de la nature… C’est aussi parce que les oiseaux ont consommé de ses fruits qu’il s’est répandu ainsi sur tout l’hémisphère nord. Toutefois l’hostilité de son milieu peut aussi le contraindre. On le remarque souvent chétif, tordu, plaqué au sol, blessé et contraint par le vent et les éléments.
On pourrait dire de cette plante qu’elle défie le temps et les épreuves de la vie… Précocité, longévité…

Histoire

Son fruit, qu’on appelle couramment la baie de genièvre et bien connue aujourd’hui pour son usage en cuisine, se conserve facilement et a dû rentrer dans les réflexes de cueillette des premiers hommes. Des traces précises de son usage dans le sud de la France il y a 5000 ans sont attestées par des archéobotanistes*.
Nos Anciens ont côtoyé plusieurs espèces de genévrier en Europe, sur le pourtour méditerranéen et dans les régions orientales : le genévrier commun qui nous intéresse ici, mais aussi le genévrier cade (ou oxycèdre), le morven (ou genévrier de Phénicie) et le genévrier sabine. Si ces deux dernières espèces sont toxiques, le cade et le genévrier commun ont pour leur part des vertus médicinales. 


Codex herboristique

Le « comportement » de notre genévrier, si on ose l’usage de ce mot qui est habituellement réservé au monde animal, est assez révélateur de ses propriétés médicinales majeures. Car élaborer un fruit avec tant de soin semble être une vraie mission pour cet arbre. Et c’est bien là qu’est toute sa valeur première, ce qui n’aura pas échappé à Platearius, dès les premières lignes du chapitre « De iunnipero ». Nous allons y revenir. Notons toutefois qu’il cite la baie en première intention. Effectivement, de nos jours, en herboristerie, on utilise préférentiellement la baie, mais parfois aussi le rameau pour faire de l’extrait hydro-alcoolique ou de l’huile essentielle. La tradition campagnarde Provençale utilisait encore très récemment utilisé le bois du Juniperus oxycedrus pour en extraire l’huile de cade. Par le passé, la cendre était utilisée aussi pour d’autres vertus plus secondaires. Au Moyen-âge, la conservation des simples était un vrai problème, et un fruit séché comme la baie de genièvre avait cet avantage qu’elle se conservait et pouvait se transporter facilement. Tout comme l’huile de cade. Pour cette raison, la baie de genièvre était une « success-story » … mais ce n’était pourtant pas la première. Revenons en effet aux baies de genièvre, car ce sont ces dernières qui possèdent des vertus importantes autant que multiples. Quel erreur de reléguer aujourd’hui cette plante au simple rang d’épice !
Au départ, on peut reconnaitre à la baie de genièvre une action tonique et une action antiseptique :
    • Son action tonique se manifestera de trois façons, ou à trois niveaux : sur le système nerveux conscient, en agissant comme fortifiant général, sur le système digestif en stimulant l’appétit et les sécrétions digestives, et enfin sur le système nerveux autonome (le couple sympathique -parasympathique). 
    • Son action antiseptique profitera à l’arbre respiratoire, au tractus digestif et aux voies urinaires.
Le genévrier présente aussi un effet cholagogue*, et se double d’un effet sudorifique*. Ces actions combinées et multifacettes sur différentes fonctions métaboliques, les anciens les ont résumé en disant que le genévrier est un dépuratif. Il faut ici comprendre cette vertu principale comme étant très puissante et qui s’enrichit de l’effet tonique dont nous parlions ci-dessus. Un effet même énergétisant pourrait-on dire. N’oublions pas que le genévrier croît de préférence dans un milieu sec et chaud, et qu’il apportera à l’organisme un message de chaleur, du « yang » comme diraient les Orientaux. La baie de genièvre réveille les processus métaboliques engourdis, que ce soit par le temps, par une baisse de vitalité ou par une maladie. C’est une plante d’action qui viendra faire face à des processus morbides chroniques. 
Elle a pourtant une exception à cette règle : la baie de genièvre a aussi la vertu d’aider le corps à se débarrasser d’un poison. Elle peut avoir dans certains cas un effet antitoxique, se révéler un véritable antidote devant certaines plantes vénéneuses ou certains produits toxiques.

Intérêt pour la santé

De ce qui précède, retenons d’abord que c’est en fonction non pas d’un simple symptôme, mais devant une analyse critique du trouble de santé que l’herboriste choisira la baie de genièvre. Il l’utilisera avec intérêt quand la chronicité caractérise le symptôme. Il choisira d’autres plantes s’il est face à des phénomènes ponctuels comme une infection passagère ou un trouble ponctuel. Ceci se vérifie aussi sur les articulations : le fruit du genévrier sera utile devant des douleurs rhumatismales installées, et non face à une arthrite temporaire ou un traumatisme. Sur le cycle menstruel féminin aussi, le genévrier sera approprié sur les dysménorrhées* ou les aménorrhées* quand elles sont liées à des troubles métaboliques plus généraux, comme une fatigue hépatique, une perte d’appétit bien installée, une carence en fer…
On emploie le plus souvent les baies de genièvre en infusion. Ce fruit est botaniquement un cône à écailles charnues. Même bien sec, il est assez résistant à une décoction et donc encore plus à une infusion. On peut concasser le fruit ou augmenter le temps d’infusion à 15 minutes, même bien sec.  On recommande 5 grammes de baies pour un grand bol. Ce qui correspond en général à 15 à 20 baies de belle taille.
La Médecine Traditionnelle Chinoise fait un lien entre le foie et la vue. Comment ne pas faire de rapprochement avec l’usage populaire bien connu chez nous de la cure de baies de genièvres pour améliorer la vue et notamment devant la cataracte : faire pendant 40 jours une cure de baies de genièvre en commençant au premier jour par prendre deux baies que l’on croque. Le lendemain, trois, et le troisième jour quatre baies. On augmente ainsi chaque jour d’une baie jusqu’au 20e jour. Dès le 21e jour on inverse le compte et on réduit chaque jour la quantité d’une baie, jusqu’à arriver à une baie le 40e jour. Vous l’aurez remarqué, ici encore, on agit face à un trouble de santé chronique par le principe de la dépuration et l’élimination des toxines.
L’herboriste indécis pourra facilement avoir recours à la gemmothérapie. Ce sera parfois le client lui-même qui préfèrera cette galénique, plus facile d’emploi. « Genévrier jeunes pousses » est en effet une préparation qu’on trouve au comptoir dans l’herboristerie. 10 gouttes 1 à 3 fois par jour à diluer dans un verre d’eau. On retrouve dans la jeune pousse tout le potentiel de la plante à maturité, et notamment les vertus décrites ci-dessus. 
Les baies de genièvre peuvent s’utiliser aussi en usage externe devant des dermatoses diverses qui demandent soutien, réconfort et chaleur. L’effet antiseptique profitera face à des maladies parasitaires comme la gale où il est important de redonner à l’organisme sa vitalité et, pour le dire d’une façon bien à la mode, renforcer l’immunité. Encore ici on vérifie l’intérêt du genévrier face à l’aspect chronique d’un problème de santé.


Commentaires sur l’Arbolayre :

Le genévrier est chaud et sec au troisième degré. On l’appelle également « annifructus » ou « arteotides ». Quand on trouve du genièvre dans une recette, c’est du fruit qu’il s’agit. Ils doivent être cueillis en automne et peuvent être gardés deux ans.

Dès la première ligne, Platearius nous indique l’aspect le plus important du genévrier : une plante qui apporte de la chaleur et de l’énergie. Il rappelle avec cette belle phrase que la baie de genièvre prévaut sur les autres parties de la plante. 
En bon herboriste compétent, Platearius nous rappelle ici la saison de récolte de la baie de genièvre. C’est en effet à l’automne que le fruit aura au mieux profité d’un été sec et ainsi gorgé de vitalité chaude et sèche…


Ils ont vertu de séparer, diviser et dissoudre les humeurs et de les dégager et consumer.

Platearius nous parle ici de cette vertu première du genévrier : la dépuration. Il la détaille dans ses étapes physiologiques : retirer les toxines des tissus où elles stagnent (« …séparer, diviser… »), les éliminer et les expulser via les émonctoires (« …dissoudre les humeurs et les dégager… ») ou les faire disparaitre par réaction métabolique (« …consumer. »). 

Contre les flux de ventre causés par la prise de scammonée qui adhère aux nerfs, aux parois de l’estomac et aux boyaux, cuire les baies de genièvre dans de l’eau, y baigner le patient jusqu’au nombril et frotter ces parties avec cette eau chaude.

On a ici une description d’un usage particulier de la baie de genièvre : le cas d’un empoisonnement avec de la scammonée, une gomme qui a des vertus purgatives et qu’on obtient à partir d’une espèce de liseron. Platearius recommande un usage externe des baies de genièvre. Je n’ai pour ma part jamais eu l’occasion de vérifier cette vertu. 

Contre les empêchements d’urine comme la strangurie ou la dysurie et aussi contre les coliques ou douleurs iliaques, donner du vin dans lequel les fruits auront cuit.

Il est ici question de la difficulté d’uriner (dysurie) ou de l’impossibilité de faire sortir l’urine (strangurie), qu’on désigne aujourd’hui sous le terme d’anurie (absence d’urine). Les herboristes de cette époque, avec les moyens dont ils disposaient, utilisaient des plantes puissantes capables de venir à bout de ce genre de maladies, dont les souffrances étaient terribles et parfois la mort au rendez-vous. La baie de genièvre est ici intéressante pour son double effet diurétique, antiputride et dépuratif. Toutes les pathologies décrites ici peuvent avoir pour cause une infection ou une surcharge toxinique face à la quelle la baie de genièvre est effectivement un bon remède.

On fait également du genévrier une huile de cette manière :
On prend un pot de terre et on attache un tuyau d’airain ou de fer à l’embouchure, qu’il soit si bien bouché autour du tuyau qu’il n’en puisse rien sortir. Prendre un autre pot et attacher l’autre bout du tuyau dans le fond bien le fermer avec de l’argile qu’il ne puisse rien sortir que par le tuyau. Emplir ce second pot de bois de genévrier et fermer avec de l’argile. Quand tout cela est prêt faire le feu autour du pot empli de bois d’où s’égouttera l’huile dans le pot de dessous. Il n’y en aura qu’une petite quantité mais elle sera d’une grande qualité. 

Ce passage de l’Arbolayre nous confirme que les herboristes de cette époque confondaient deux espèces de genévrier : le genévrier commun dont on récolte les baies et le genévrier cade (Juniperus oxycedrus) dont on extrait l’huile de cade. La méthode décrite peut paraître artisanale mais fonctionne dans son principe. 

Cette huile vaut contre la fièvre quarte, donner au patient une dragme avec ses aliments, mais il convient que la matière de fièvre soit d’abord digérée, modérée et abaissée et que cette fièvre soit causée par une humeur mélancolique naturelle et non par la combustion d’autres humeurs.

On déconseille aujourd’hui l’usage du cade en usage interne, du fait de sa concentration en goudrons et son effet cancérogène possible. Platearius nous recommande ici un remède contre la fièvre des marais (malaria, paludisme) qui était à cette époque encore bien présente dans nos contrées. Il décrit une forme de fièvre chronique qui nous permet de bien diagnostiquer le paludisme. Si la malaria est aujourd’hui seulement présente dans les régions tropicales, il n’en a pas toujours été de même. Les parasites à l’origine de ces fièvres récurrentes étaient présents en Europe à cette époque, et étaient un véritable fléau. Des chercheurs estiment, même si cela relève de la spéculation, que la moitié de l’humanité aurait été décimée par le paludisme depuis ses origines…
L’intérêt de l’analyse de Platearius ici est de montrer le lien entre cette maladie et la baisse de l’immunité qui est associée, en la décrivant comme causée par une humeur mélancolique naturelle…


Contre la douleur iliaque qui est une douleur dans la partie haute du ventre, donner au patient un peu de cette huile avec du vin et aussi enduire le lieu de la douleur.

Platearius désigne t’il ici les règles menstruelles ? Ou au contraire des douleurs chroniques rhumatismales ? Difficile d’interpréter, mais dans les deux cas le genévrier peut être une bonne indication. Il est juste étonnant de voir prescrit l’huile de cade plutôt que l’usage de la baie de genièvre elle-même. L’usage populaire a retenu du cade seulement un intérêt pour la peau.


Contre la maladie qui fait tomber par terre oindre avec cette huile l’échine du dos du malade.

On retrouve ici l’application pratique d’une vertu essentielle du genévrier : l’effet fortifiant nerveux. Platearius nous propose un usage qui est original et oublié de nos jours… Mais oindre d’une huile la colonne vertébrale démontre la pertinence du diagnostic. L’épilepsie est vue comme une maladie nerveuse. Or aujourd’hui elle n’est pas comprise comme une maladie chronique évolutive puisqu’elle est davantage considérée comme une déficience. 


Pour rompre la pierre injecter cette huile dans la verge avec une seringue.

« rompre la pierre » signifie d’agir face à des calculs urinaires, qu’on appelle encore la colique néphrétique. Cette maladie extrêmement douloureuse a une tendance à devenir chronique et les personnes ayant fait une crise une première fois, de peur d’une récidive sont enclins à suivre « tous les conseils du monde », y compris essayer cette recette pour le moins surprenante.

Contre empêchement de souffle ancien et de cause froide donner cette huile avec les aliments, ou d’autre manière, ou donner du vin dans lequel aura cuit les baies de genièvre avec des figues de carême sèches.

Le genévrier est regardé comme un complément à l’alimentation pour améliorer le terrain asthmatique chronique.  Il est proposé ici en soutien de la vitalité de l’organisme. Une excellente prescription si on comprend qu’il s’agit bien d’une maladie chronique et qu’un travail de fond doit être entrepris.

 

Perspectives :

Tester l’extrait hydroalcoolique de genévrier contre le paludisme.  ?
Utiliser une forme galénique adaptée du genévrier comme fortifiant des voies urinaires sous forme d’un complexe dynamisé, par exemple.
Le genévrier pourrait-il s’intégrer dans une formulation devant l’épilepsie ?

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